BIM & Architecture

1. Compréhension des enjeux

La révolution qu’opère le BIM, c’est de donner une sémantique aux objets numériquement représentés par rapport à une approche qualifiable de « syntaxique » qui s’opérait majoritairement jusqu’alors, s’attachant uniquement à la forme.

Ces nouveaux logiciels de conception architecturale sont dits « orientés objet ». Le BIM trouve ses premières formalisations dans les années 901, époque qui a vu naître une autre forme de langage avec une vision sémantique : « HTML ». On peut dresser un parallèle entre internet et le BIM :

« Sous l’expression web sémantique, attribuée le plus souvent à Tim Berners-Lee, se regroupe un ensemble de programmes de recherche et de travaux variés. Leur objectif commun est de permettre aux machines d’exploiter automatiquement les contenus de sources d’information accessibles par le web pour réaliser des tâches
variées. La réalisation de cet objectif repose sur l’existence de données, accessibles par le web, structurées ou semi-structurées, représentées dans un formalisme autorisant des traitements automatisés allant au-delà des traitements liés à la présentation des données et mettant en œuvre des mécanismes d’inférence puissants. »2

Le concept sous-jacent du BIM (à l’instar du web sémantique) est bien la métadonnée. L’élément de construction n’est plus simplement un poteau défini par des valeurs en {XYZ}, mais il devient un objet avec du sens attaché. Des données (matériau, stabilité au feu, coût) viennent enrichir la description jusqu’alors syntaxique de ce poteau.

Dès lors, les éléments constituant une maquette numérique acquièrent une relation les uns par rapport aux autres, au-delà du seul dessin réalisé par l’humain. Le processus d’interaction est automatisé par l’ordinateur : dessiner deux murs qui se touchent, et ils seront conscients qu’ils sont chaînés, qu’ils agissent l’un l’autre sur leur stabilité. Déplacer un des deux murs aura pour effet de faire s’agrandir l’un des autres murs pour maintenir leur connexion. Tout d’un coup la maquette numérique d’un bâtiment donne de l’intelligence aux objets.

La rapidité de traitement des données et les possibilités offertes par ces objets intelligents confèrent au BIM des possibilités jusqu’alors insoupçonnées. Quatre murs définissent une pièce qui possède elle-même ses propres caractéristiques. Il devient possible d’utiliser ces métadonnées dans le but de réaliser des simulations informatiques. (Thermiques, structurelles, évacuation en cas d’incendie, topologie, etc.).

Un champ nouveau d’applications s’ouvre alors lors du projet de construction dans l’exploitation des données renseignées dans la maquette.

On n’est plus simplement face à une planche à dessin où les objets sont inertes, sans intelligence. Ici tous les objets créent un réseau d’objets interdépendants.

Le BIM change le mode conception du projet en ajoutant une « couche sémantique » à des objets interdépendants constituants une maquette numérique. Ce processus d’élaboration conceptuel et technique se mêlange à l’acte de projeter. D’un point de vue opérationnel cela pose deux questions :

  1. L’organisation des équipes de maîtrise d’œuvre.
  2. L'application du cadre législatif et de ses possibles évolutions.

Il ne s’agit pas ici de subir bêtement « l’injonction à l’innovation et à la créativité » qui est souvent faite au secteur du bâtiment et plus particulièrement aux architectes, mais bien de comprendre les mécaniques sous-jacentes qui sont introduites par un passage de l’acte de projeter au numérique.

Il suffit de regarder les bouleversements récents de plusieurs secteurs industriels pour percevoir l’impact du numérique et les changements de paradigmes comme l’automatisation toujours plus grandissante qui y sont opérés.

Face à ces constats, plusieurs approches sont possibles, mais il semble tout à fait cohérent de considérer que l’architecte est le seul à envisager le projet dans sa globalité et qu’à ce titre il doit organiser ses outils de manière à prendre en compte le BIM (et plus largement le numérique).

2. « Projeter en BIM »

L’école est un moment particulier au sein de la vie d’un architecte. On y pratique le « projet » dans une situation éthérée propice au développement conceptuel et technique de la discipline architecturale. Le projet peut y être vécu comme l’apprentissage de la méthodologie du doute. C’est la discipline de la cohérence/contingences de concepts abstraits.

Le projet tel qu’il est envisagé à l’école est pour moi une véritable métonymie, le tout est désigné par une partie : la définition qui est faite du projet par l’AFNOR est assez éloquente sur le sujet.

« Un projet est une démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à venir. Un projet est mis en œuvre pour élaborer une réponse au besoin d’un utilisateur, d’un client ou d’une clientèle. Il implique un objectif, des actions à entreprendre avec des ressources définies dans des délais donnés.» 3

La deuxième partie de cette définition est particulièrement intéressante, puisqu’elle introduit une notion historiquement indissociable de l’acte de projeter : celui de planifier. L’arrivée du BIM peut donc être considérée comme une occasion de remettre à plat l’acte du « projeter architectural », et des conditions techniques de mise en œuvre de l’architecture.
La philosophie du BIM qui est envisagée ici n’est pas celle d’une vision « managériale » ou axée sur la « rentabilité », mais bien de redonner un équilibre entre projet et planification, en créant un dialogue enrichissant, qui semble aujourd’hui perdu alors qu’il était l’apanage de toute agence d’architecture jusque dans les années 70.

La formation continue à destination des agences doit donc permettre de transmettre cette position : l’architecte est le maitre d’œuvre du projet et de son organisation. C’est à lui qu’incombe les modalités de structuration de l’acte projeter, du choix des outils jusqu’au contenu. Le BIM management n’est alors qu’une compétence parmi d’autre et non un métier.

Cette posture doit être défendue dans les écoles, et enseignée à la fois aux futures générations d’architectes ainsi qu’a ceux qui, désireux de s’instruire et se perfectionner, ont recours aux formations dispensées par l’école.

Le projet comme synthèse d’enjeux contradictoires :

Le défi du projet est d’opérer la synthèse d’enjeux contradictoires. Sa réussite reposera sur sa capacité à résoudre des problématiques : il ne s’agit pas ici d’une couche supplémentaire à intégrer au projet. Au contraire, le passage au BIM doit permettre de repenser en profondeur l’acte de projeter l’architecture pour lui permettre de gérer toujours plus de complexité et de s’adapter aux évolutions du métier.


  1. YouTube : « The End of Babel » 1994. [janvier 2017] https://www.youtube.com/watch?v=g_jmGQvr6dQ 

  2. LALIC (Paris-Sorbonne, Université 4) http://www.lalic.paris4.sorbonne.fr/stic/presentation5.html 

  3. Norme X50-105